jeudi 27 février 2014

Préfecture: Bienvenue dans la chambres des tortures


Le temps d'une journée j'ai tutoyé une réalité que beaucoup de nos concitoyens méconnaissent: celle des étrangers qui galèrent dans le monde kafkaïen de nos administrations françaises...







Il est neuf heures du matin, quartier Gaîté dans le 14ème arrondissement de Paris. A quelques encablures de la rue de la Gaité où trônent une succession de théâtres, dont la « Gaité Montparnasse » et le mythique « Bobino » qui a connu des jours meilleurs à l'époque où Renaud et Guy Bedos n'étaient pas encore l'ombre d'eux-mêmes. Bref!

Il y a un autre visage de ce quartier bobo chic, cerné de toutes parts par les centres commerciaux, les immeubles en verre et des brasseries qui n'ont plus grand chose à voir avec les petits rades du temps d'antan de Michel Audiard. Sur l'avenue du Maine, au 114, à proximité d'un très sélect restaurant de fruits de mer se tient l'Hôtel de police du 14ème arrondissement. Pour les français bien blancs, dont je suis, c'est juste un élément assez triste et froid du décor, orné d'un drapeau bleu blanc rouge, que l'on dépasse d'un oeil distrait en vaquant à ses occupations. Mais pour les ressortissants étrangers en attente d'un titre de séjour des 11-12-13-14-19 et 20ème arrondissement cet endroit est synonyme d'un véritable calvaire: le Centre de réception des étrangers, le CRE dans le jargon de la police. Je précise que je me contente d'accompagner une amie dans cette épreuve. Une simple barrière délimite l'étroit périmètre entre les premières demandes et les renouvellements de titre de séjour. Pas d'indication ou presque. Les gens s'informent avec le bouche à oreille. Ça et là quelques geste de sympathie ou d'humanité permettent de rendre l'attente un peu moins pénible.

Derrière moi, dans la file, un jeune malien, Cissé, un ancien footballeur qui a couru après le ballon rond lors de compétitions du côté de Kidal, le nord instable du pays, «à quelques jets de pierre en moto. » de la frontière avec l'Algérie. Je ne lui demanderais pas comment il est passé du statut d'apprenti Seydou Keita à la galère en France. Sur ses épaules, seul rempart contre la fraîcheur du mois de février, une veste porte la griffe d'un club de Jazz situé non loin. Plutôt sympa... quand on a les moyens car hélas il n'y a plus guère qu'à la Nouvelle Orléans que le Jazz ne s'est pas embourgeoisé. Cissé y officie comme cuisinier. Ses patrons l'ont mis en dispo pour la journée afin de régulariser sa situation. Entre timbres fiscaux et frais divers il en a pour plus de sept-cent euros. Il passera cette journée à attendre dehors, comme des grappes d'autres, dans l'indifférence générale des policiers en service. Cissé, à l'instar de nombreux sans-papiers est cuistot. On en trouve à la pelle dans les « Tour d'argent » et autre « Maxim's ». ça tombe sous le sens qu'ils contribuent à l'activité économique du pays. Mais Manuel Valls, l'homme « aux blancs, white et autres blancos » semble d'un autre avis. A t-il oublié qu'il n'a été lui-même naturalisé français qu'en 1982?


Faites la queue comme tout le monde



Dans la file devant moi, une femme chinoise qui ne pipe mot, enchaîne les pauses cigarette. A son niveau se tient un marocain, Karim, la quarantaine, fumeur invétéré également. Ils se relaient pour cloper. Lui, en revanche, a la langue bien pendue. Ancien gendarme, il se mord les doigts d'avoir quitté Casablanca pour la France. Il travaille désormais dans le bâtiment. Il monte des chapiteaux pour des expositions. On le sent seul, malgré sa grande gueule et son air de s'en foutre de tout. Quand l'administration tatillonne lui reproche de ne pas avoir fondé une famille en France pour montrer patte blanche il réplique du tac au tac: « Laissez moi une heure et je fais trois enfants! Ma vie privée ne vous regarde pas!" Un jour à la préfecture une employée lui a dit: « Vous êtes marocain. Rentrez chez vous! »

Pris d'un accès de rage il a tout renversé sur le bureau. Devant les policiers venus s'interposer il a confronté la dame raciste. Ce genre de fait est monnaie courante dans les préfectures, surtout à Bobigny dont la réputation fait blêmir tous les demandeurs de papiers. Ce racisme débridé est très souvent l'objet d'une totale impunité. Les personnes en cours de régularisation doivent faire profil bas pour ne pas risquer de voir leur dossier en bas de la pile et attendre des mois, des années. « ça fait dix ans que je fais les allers et retours entre ici et la Cité. Les filles de l'accueil me connaissent par coeur.» raconte Karim avec un sourire teinté d'une profonde amertume. « Avant à la Cité c'était sans rendez-vous. Mais il y avait tellement de monde qu'on retrouvait même des matelas dans le parking souterrain! » Je repense un instant au petit gratte-papier de la Cité joué par Jacques Villeret dans « Black mic mac ». Certains employés qui allient le racisme à l'incompétence profitent de cette détresse et se lâchent: « Mais vous n'êtes pas comme les autres noirs. Je ne sais pas où vous classer moi! » s'est entendue dire mon amie.

Avant de pouvoir pénétrer dans le hall et espérer récupérer le fameux ticket de guichet, les heures s'égrènent. Les gens prennent leur mal en patience, discutent, pianotent. Certains, à bout de nerfs, las d'attendre depuis cinq heures du matin, interpellent la policière en faction. Elle nous aboie de reculer, s'en prend à ceux qui ont eu l'impudence de s'aventurer sur les marches de l'édifice et lance des « ouste ouste! » à la volée. Comme si nous étions une meute de chiens. Le début de la déshumanisation. Le ton monte. Elle menace de ne pas nous laisser rentrer. Son altercation avec le premier rang de notre file va nous coûter cher. Elle nous laissera bloqués encore une éternité. La file renouvellement avance plus vite, les cas étant plus faciles à traiter. Cissé maudit la flic de faction, d'origine africaine: « Pourquoi se sont toujours les immigrés qui se sentent obligés de faire du zèle pour montrer qu'ils sont bien intégrés? »

A quelques rangs derrière nous, une dame africaine avec une poussette et un bébé, sûrement né sur le sol français, qu'elle doit ramener avec elle pour espérer obtenir son titre de séjour. Bien sûr, elle fera la queue comme tout le monde. Aucun traitement de faveur ni pour les anciens, ni pour les mamans et leurs enfants. Tout cela au pays des droits de l'Homme, berceau de la « civilisation »! De quoi se sentir rabaissé plus bas que terre. Le temps de quelques (longues) heures je mesure la croix et la bannière de ces gens. Loin de moi l'idée de me prendre pour Gunther Wallraff. Ses immersions dans la peau d'un turc ou d'un noir ont duré des mois et lui ont laissé des séquelles. Je ne prétends pas avoir les mêmes « cojones ». Mais je connais quelques jolis messieurs proprets du Palais Bourbon qui mériteraient de subir le sort de ces immigrés, ballotés d'une administration à une autre, au sein d'une République dont la devise sur la fraternité semble être une blague de mauvais goût. Nos ronds de cuir ne supporteraient pas le dixième de ces humiliations bureaucratiques.


Il y a en cette « douce France » des sous citoyens. J'en ai la triste preuve. Beaucoup, parmi nos français de « souche », si tant est que ça existe, ou qui, en tout cas, ont la bonne couleur, n'en ont pas vraiment conscience. D'autres s'en indignent. Certains le taisent ou minimisent le phénomène. Quelques uns trouvent que c'est dans l'ordre naturel des choses. Le même ordre naturel qui prévalait au temps béni des colonies. Ne soyons pas manichéens: les mentalités évoluent. Mais les administrations et les dirigeants politiques semblent restés sclérosés dans une France qui, à l'heure du multiculturalisme, n'existe plus. Hollande, le caramel mou s'est assis sur les régularisations de sans-papiers et le droit de vote des étrangers. Il a laissé les clés du château à Manuel Valls, préférant aller lécher le derrière de patrons....étrangers. On ne s'intéresse manifestement pas aux mêmes étrangers!


La maison qui rend fou


Pendant ce temps, avenue du Maine, la file a à peine bougé. Les fonctionnaires de police sont allés casser la croûte. J'ai des fourmis dans les jambes et l'estomac qui crie famine. Certains d'entre nous font des étirements. L'envie d'uriner se fait pressante mais il faut attendre d'être admis dans le hall pour accéder aux toilettes. Je ne sais pas comment ni quand mais on a fini par gagner le sésame pour le guichet et trouver un siège. Depuis le matin, j'ai eu le temps de lire un bouquin en entier et d'en entamer un deuxième! Le guichet 1 expédie vite les cas. Je m'interroge. Est-ce bon ou mauvais signe? Soudain, oh miracle notre numéro, le 94, finit par être appelé... au guichet 1! Je regarde machinalement l'heure: il est seize heures! La dame nous dit bonjour C'est toujours ça de pris. Elle nous sermonne d'emblée: «Vous auriez du venir beaucoup plus tôt. Je ne peux pas traiter votre dossier. Je ne peux que vérifier vos pièces et vous renseigner.» Restons calme! Les justificatifs fournis ne sont pas jugés assez « probants » par la bonne dame. Il en faut d'autres, encore et toujours.... Du genre compliqués voire impossible à se procurer. Le crâne de mon amie est prêt à exploser. La dernière fois que mon ami est venue, la collègue de la dame avait un autre son de cloche sur la marche à suivre. Problème de formation ou mauvaise foi patentée? Il n'y a même pas de trace matérielle des entrevues pour une éventuelle réclamation. Tout est fait pour décourager le chaland. « Ici à chaque fois que je viens il y a quelque chose qui change! » raconte Cissé avec fatalisme.

Pas d'erreur. Nous sommes au coeur de la maison qui rend fou des « Douze travaux d'Astérix »! Sauf qu'on n'est pas dans un dessin animé et que le laisser-passer A 38 d'Astérix, ici, c'est le récépissé pour le titre de séjour. Nous sortons complètement lessivés et frustrés. Le métro nous semble irréel et les noms des stations résonnent ironiquement. Gaîté, Montparnasse... bienvenue! Il n'y a pas de quoi être gai et tout le monde n'a pas l'air si bienvenu chez nous! Même si ailleurs l'herbe n'est pas si verte. Récemment, le populisme a remporté une nouvelle victoire en Suisse avec le vote de quota pour les étrangers. En attendant, je vais retourner à mon confort douillet de privilégié qui a le droit d'aller et venir sans entraves. Le goût vermoulu de la honte s'insinue aux commissures de mes lèvres. La honte d'un pays où l'on traite si mal certains de ses enfants. De son côté, mon amie sait que, pour elle, comme pour des milliers de ressortissants en France, le cauchemar ne fait que commencer....

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