vendredi 17 mai 2013

Ginger bitter




Il faut se méfier des légendes.

Toute mon enfance mon père m'a bassiné avec l'air de "Sunshine of your love", en mimant le solo de guitare d'Eric Clapton. Pour sa génération le groupe "Cream" était culte, au même titre que les Who, Animals et autres Doors. Une époque où les petits blancs, enfants du Rock, avaient une oreille plus qu'attentive pour le Blues noir américain. Vu de ma génération c'était surtout une musique de chevelus gorgés de LSD et de Ravi Shankar... Ben oui j'étais un peu réac étant môme!



Le batteur de "Cream" était un certain Ginger Baker. Un type au caractère trempé dans l'acide et à la crinière hirsute de viking. On entend son solo lancinant, martelant ses fûts sur le titre "Toad", dans la bande originale de "Casino" de Scorsese.



Bref voir le personnage en live, à l'occasion d'un hommage parisien à Fela Kuti- qu'il a fréquenté à Londres dès 1961 alors qu'il n'était qu'un trompettiste inconnu, puis en voyage au Nigéria- c'était réaliser le rêve du paternel.

Sauf que Ginger n'est pas un long fleuve tranquille. Ce n'est pas pour rien qu'un documentaire consacré au bonhomme s'appelle "Beware of mr Baker" Notoirement irascible il a viré le bassiste Jack Bruce du groupe "Graham Bond organisation" avant de devoir se réconcilier avec lui par l'intermédiaire de Clapton sur "Cream". Il l'avait même frappé avec autant de rage que sur sa grosse caisse. Ce qui aurait contribué à la dissolution de "Cream".

Ses excès ne l'arrangent pas. Selon un article du Guardian il a fait une trentaine de rechutes à l’héroïne jusqu'en 1981. Son ami Fela avait pour la petite histoire caché un stock de marijuana dans une batterie avec l'adresse de Ginger, provoquant une annulation de tournée. Aujourd'hui, même s'il s'est assagi en batteur de Jazz à lunettes de bibliothécaire et cheveux courts, Ginger est un septuagénaire marqué par la vie. Problèmes respiratoires, osthéo-arthrite, déplacements pénibles.



Comme j'aime les missions impossibles j'ai essayé d'approcher celui dont tout le monde averti qu'il hait les interviews et qu'il mord les journalistes. Le décor est posé: devant la Bellevilloise, où se tient le gig, des quinquagénaires ventripotents nostalgiques ont apporté leur vinyle 33 tours de "Blind Faith", espérant sans doute une dédicace du redoutable drummer! Bon courage!

Backstage le ton est donné! Le responsable de l'accueil des artistes est encore remué et outré: "Ginger m'a insulté!" Tout ça commence sous les meilleures auspices! C'est finalement son assistant, un jeune homme de 20 ans, Duncan, originaire de Birmingham, qui va me servir d'intermédiaire. "I'm his bitch" confie t-il. Tout en ajoutant, malicieux, que le grand Ginger en rajoute sur sa maladie. Après avoir montré patte blanche j'obtiens un bref entretien, tout en me demandant à quelle sauce je vais être mangé. Et je ne suis pas déçu!

Ginger est enfermé dans une petite pièce transformée en aquarium par ses volutes de cigarettes. Je lui tends une main qu'il ignore. Je m'assois à ses côtés, froissant au passage son imperméable à la Columbo. Il me foudroie du regard et aboie: "Sit here!" Silence interminable pendant qu'il s'en grille une!

"Talk!" aboie celui qui a sûrement un lien de parenté avec le sergent sadique de "Full metal jacket". Je me lance hardiment dans une question bateau sur sa rencontre avec Fela. Ginger au regard glacial derrière ses verres, fais les réponses courtes que redoute tout interviewer.

Au bout d'un moment il me dit que je suis trop analytique et qu'il n'a pas besoin d'un psy! Fin de la discussion! Duncan fait une photo de nous en mode snappy! En 3 minutes d'entretien pas grand chose sur son amitié avec Fela et ses voyages au Ghana, au Nigéria, ni sur le live Fela Ginger de 1971




Je jette un oeil à la photo...floue. This one's for you daddy!











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